À moins d’un an des Jeux Olympiques 2020 (Tokyo, 24 juillet – 9 août 2020), l’équipe de France d’Escrime a réalisé d’excellents mondiaux à Budapest en juillet dernier, marqués par les titres du fleurettiste Enzo Lefort, et des épéistes hommes. Dominés par la Russie, (7 médailles, 3 titres), ces épreuves ont été surtout le théâtre de matches extraordinaires, qui deviendront peut être un jour des classiques de l’escrime internationale.

Assez peu médiatisée, l’escrime a pourtant d’indéniables atouts à faire valoir. Sport de mouvement et de combat, l’extrême technicité, la rapidité gestuelle, ainsi que la complexité des règles, rendent la captation parfois difficile, et la lisibilité peu évidente pour le spectateur. Les initié.e.s, passent davantage temps à discuter l’interprétation des touches, qu’à en apprécier la qualité.
Nombreux.ses sont celles et ceux qui essaient d’en capter, sinon l’essence, la magie, la beauté, parfois la violence d’un combat armé, autrefois martial. La plupart de ces vidéos transmettent surtout l’image d’un ballet entre deux sportifs, lames virevoltantes et déplacements vifs, loin, très loin de notre pratique d’amateurs éclairés. D’une remarquable qualité promotionnelle, ces images esthétisantes de haut niveau, avec de sportifs de haut niveau, ne disent pas tout de la nature élémentaire du combat sportif : devoir marquer une touche de plus que l’adversaire en face de soi.
De l’efficacité, l’équipe de France en a manqué lors de la première journée. Il s’en est fallu de peu que la jeune épéiste Coraline VItalis (24 ans) ne décroche la première médaille du groupe France, et sa première breloque mondiale. 5ème de l’épreuve, place exceptionnelle mais invisible, elle signe néanmoins le meilleur résultat bleu du jour. Le titre mondial est revenu à une autre habituée des pistes françaises, la représentante du Brésil Nahtalie Moellhausen, récompensée pour sa ténacité et son immense volonté.
Le lendemain, deux surprises frappent le clan tricolore, une bonne et une moins bonne : l’élimination cruelle de Yannick Borel en 1/4 de finale (5ème, comme sa compatriote Vitalis), est une déception pour le meilleur de nos épéistes. Les escrimeur.se.s français.es vont néanmoins connaître le bonheur d’ouvrir le compteur médaille avec l’argent, inattendu et remarquable, de la jeune fleurettiste francilienne Pauline Ranvier. Formée à Paris et licenciée au club de Melun Val-de-Seine, l’escrimeuse de 25 ans vit une journée de rêve après une qualification tranquille (5V sur 5 en poules). Après deux matches bien menés et accrochés contre Fanny Kreiss (Hongrie) et Yuka Ueno (Japon), Pauline Ranvier réalise une performance de choix en battant l’italienne Arianna Errigo, double championne du monde individuelle. Elle s’incline de peu, en finale, contre la grande Inna Deriglazova (Russie), qui remporte son 3ème titre mondial consécutif.
La dernière journée des épreuves individuelles va réserver des émotions folles : honneur aux dames avec la superbe victoire de l’Ukrainienne Olga Kharlan, qui elle aussi empoche sa 3ème couronne planétaire en individuel. La finale entre Kharlan et Sofia Velikaya (Russie) a sans doute été l’un des meilleurs moments de ces mondiaux, remarquablement organisés et mis en scène.
Cécilia Berder 6ème et Manon Brunet éliminée au tableau de 16, les derniers espoirs de titre reposaient sur les fleurettistes. La journée avait bien mal commencé pour eux, Le Péchoux et Mertine sortis au 1er tour, Pauty au tableau de 32. Restait le francilien Enzo Lefort. Très prometteur, le fleurettiste guadeloupéen avait signé à 22 ans son premier podium dans un grand championnat, à Kazan en 2014 (médaillé de bronze). D’abord poussif durant les deux premiers tours, Enzo va aller chercher son sacre en balayant le russe Zerebchenko (15 à 7) puis en ne faisant qu’une bouché du surprenant anglais Marcus Mepstead en finale (15 touches à 6). Lefort est le premier fleurettiste français titré depuis Philippe Omnès à Lyon en 1990, et obtient le premier grand titre individuel du fleuret national depuis l’or olympique de Brice Guyart aux J.O. d’Athènes en 2004. La portée de l’exploit, qui consacre un grand talent et un jeune homme valeureux, est rayonnant pour l’escrime française.
On ne pouvait pas ne pas dire un mot sur notre compagnon, notre ami, l’espagnol Carlos Llavador. Battu au tableau de 16 par le Hong Kongais Choi, il termine à la 11ème place. Désormais 27ème au classement FIE, il va devoir batailler pour obtenir son ticket olympique, mais le garçon a de la ressource et il lui est permis de rêver.
La joie d’un titre individuel est intense, mais les athlètes pourront le confirmer : rien ne remplace l’émotion collective d’une victoire par équipes. Le face à face de l’escrime, dans une discipline où l’individu, voire l’individualisme a une place importante, est pimenté lors des duels d’un « par équipes ». Très particuliers par leurs retournement de situation, ces matches révèlent les tempéraments et concentrent les émotions les plus fortes.
Les épreuves par équipes ont donné un relief supplémentaire a ces Championnats du Monde. Tous les trois disputées par une touche d’écart, la finale Italie-Russie, au fleuret féminin, l’intense Corée du Sud-Hongrie au sabre masculin et le dramatique final de Russie-Chine à l’épée dames, ces matches ont été parmi les finales les plus incroyables de ces dernières années. Destins contraires chez les escrimeuses russes, où Violetta Kolobova, héroïne malheureuse, vaincue à la mort subite, n’a pas connu l’immense bonheur de la dernière touche, ce qu’Inna Deriglazova aura l’occasion de faire, en portant l’estocade finale contre Elisa Di Francisca. L’athlète russe signe un retentissant doublé qui la classe très haut dans le palmarès mondial.
Côté bleu, les fleurettistes françaises ont manqué l’occasion de rapporter une 6ème médaille internationale, depuis le « chou blanc » des JO de Londres. Depuis 2012, les filles du fleuret sont très souvent montées sur la boîte (Bronze à Budapest en 2013, Argent à Kazan en 2014, Bronze à Moscou en 2015, Bronze à Rio en 2016, Bronze à Wuxi en 2018). Battues de deux touches, elles terminent au pied du podium.
Les épéistes hommes et les sabreuses ont connu des fortunes diverses en voulant gravir la dernière marche. Sacrées en Chine, Manon Brunet, Cécilia Berder, Charlotte Lembach et Caroline Queroli ont buté sur une impeccable équipe de Russie lors de la finale. Emmenés par Yannick Borel, les épéistes ont largement dominé la compétition et terminé le travail en finale contre l’Ukraine après 8 relais sur le fil (35-35 avant le dernier le relais). 10-2 et 3 minutes plus tard, Alexandre Bardenet, Ronan Gustin & Daniel Jerent portaient en triomphe le colosse de Pointe à Pitre.
Avec 2 titres et 3 médailles d’argent, la France se classe au 2ème rang mondial des nations. Dominatrice l’an passée, les transalpins ont marqué le pas, mais beaucoup « scoré » (aucun titre, mais 7 médailles de bronze). La Russie, 1ère nation mondiale, et la Corée du Sud (2 titres), ainsi que la Hongrie à domicile (1 titre, 3 médailles en tout) ont réussi leurs championnats. Tout ce beau monde a rendez-vous dès le mois de septembre et jusqu’en avril 2020, fin de la qualification olympique, et auront alors en ligne de mire la préparation les menant jusqu’à l’Olympe dans la capitale nipponne. Des bords du Danube jusqu’au soleil levant, le chemin est encore long, mais d’ici là, ça risque de barder…
Un petit aperçu des meilleurs moments des championnats du monde d’escrime. Tous les matches sont visibles sur la Chaîne Youtube de la Fédération internationale d’Escrime (FIE Fencing Channel)
Thomas Fioretti